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Par Emmanuel Caloyanni
On dit souvent de l'aviation qu'elle est une passion qui ronge jusqu'à la moelle ceux qui l'ont embrassée. Ceci est forcément vrai lorsqu'il s'agit de René Couzinet, le père de l'Arc-en-Ciel, ce trimoteur qui, en 1933, effectua la traversée aller-retour de l'océan Atlantique sud, ralliant du même coup Paris à l'Argentine. Car Couzinet, un Vendéen né près de La Roche-sur-Yon en 1904, sacrifia sa vie entière aux avions. Sans concessions aucune, sans regrets non plus, ce qui fut parfois un fardeau trop lourd à porter sur ses épaules.
L'histoire (ou plutôt les histoires) de Couzinet, ingénieur en aéronautique passé par les Arts et métiers d'Angers (Maine-et-Loire), mérite que l'on s'y attarde. Fasciné dès l'adolescence par le vol des hirondelles, dont presque tous ses avions calqueront la forme, il recueille rapidement les fruits de son travail en construisant à l'âge de 23 ans son premier aéroplane, le Couzinet 10, qui est le premier des trois Arc-en-ciel mis au point avant la Seconde guerre mondiale. Le Couzinet 10, que René achève alors qu'il est toujours officier au 34e Régiment d'aviation basé au Bourget, présente quelques innovations techniques révolutionnaires pour l'époque, comme la surpuissance ou l'accessibilité des moteurs en vol. Innovations qui ne suffisent pas à convaincre les services officiels du ministère de l'Air, si bien que le certificat de navigabilité lui est longtemps refusé.
L'Arc-en-Ciel n° 1 s'écrase sur l'aérodrome d'Orly le 8 août 1927. Le crash entraîne la mort du pilote Maurice Drouhin et d'un mécanicien. Sur le point de quitter les chaînes de montage, le n° 2 finit en cendres après l'incendie, au soir du 17 février 1930, des ateliers que l'industriel Émile-Louis Letord a mis à la disposition de Couzinet à Meudon (Les Hauts de Seine). Le n° 3, le Couzinet 70 dans la nomenclature maison, sort d'usine début 1932. Jean Mermoz l'acheminera à Buenos Aires un an plus tard, avec son concepteur à ses côtés. À leur retour en France, ils seront accueillis en héros. René Couzinet a 29 ans. Il est au faîte de sa gloire.
Vendu à Air France avant d'être réformé en 1937, le Couzinet 70, devenu 71 après diverses modifications, est le plus connu des avions construits par l'ingénieur vendéen. Il en existe pourtant beaucoup d'autres dans son catalogue. Parlons du Biarritz (Couzinet 33), que le baron Charles de Verneilh emmena, courant 1932, jusqu'en Nouvelle-Calédonie, du Couzinet 40, trimoteur très performant réalisé en 1934 mais qui eût une durée vie de très courte, du Couzinet 100, avion de tourisme dont on perd la trace après son achat, en 1936, par les Républicains espagnols ou encore de l'Air Couzinet 20 B4, un bombardier que l'invasion allemande de 1940 mit au pas. Plus de cent projets sont référencés dans les archives de la SA ARC et de Transocéanic. Moins d'une vingtaine a vu le jour.
Homme de caractère, ingénieur à l'ego surdimensionné, René Couzinet, tout au long de sa carrière, s'est en permanence heurté aux pontes de l'aéronautique (l'ingénieur Suffrin-Hébert en particulier), qui, il est vrai, ne l'ont pas ménagé non plus. Une incompréhension, parfois une lutte impitoyable, qui laissa des traces dans les deux camps. Pour Couzinet, les conséquences furent telles que son dernier aéroplane, l'Air Couzinet 10, un bimoteur destiné au service postal français, vola en 1937, moins de cinq ans après qu'il eut triomphé de l'Atlantique sud.
Même au Brésil, où le président Gétulio Vargas lui confia (au début des années quarante) la direction technique de la toute nouvelle fabrique nationale d'avions, René Couzinet, mis à l'index par les Américains, ignoré par la France libre, ne réussit jamais à se refaire une santé. Pas plus d'ailleurs qu'à son retour en France au sortir de la Seconde guerre mondiale. Ses rares projets d'avions crédibles firent long feu, ceux liés aux hydroglisseurs pareillement. Quant à sa " soucoupe volante ", l'Aérodyne à ailes multiples, elle ne dépassa pas le stade de la maquette en bois.
Ces nouvelles désillusions expliquent au moins en partie sa fin de vie tragique, quand, le dimanche 16 décembre 1956, il mit fin à ses jours, entraînant dans la mort son épouse, Gilberte, l'ancienne femme de Jean Mermoz. Terrible destin pour cet écorché vif qui rêvait de laisser une trace indélébile mais qui, finalement, ne laisse que le sentiment d'un immense gâchis, d'une carrière inachevée.
René Couzinet est souvent qualifié de génie par les historiens de l'aviation, qui louent son côté visionnaire et son culot monstre. À défaut d'être génial, une notion bien vaste et abstraite, il va de soi que l'ingénieur vendéen fut un précurseur alors que nombre de ses collègues constructeurs tâtonnaient. Certaines de ses théories (l'excédent de puissance notamment), retouchées tout au long du XXème siècle, ont d'ailleurs toujours cours mais presque tout le monde l'a oublié.
Lorsque l'Arc-en-Ciel n° 1 sort d'usine au début de l'année 1928, la presse de l'époque lui consacre des articles dithyrambiques. Les journalistes n'ont de cesse de vanter les mérites de ce monoplan à aile basse sans mâts ni haubans, qui pèse 16 tonnes, dont l'envergure dépasse les 27 mètres et qui possède trois moteurs. Le Couzinet 10 dispose de plusieurs réservoirs qui, au total, peuvent contenir plus de 6.000 litres d'essence, ce qui lui procure un rayon d'action de 10.000 kilomètres. Enfin, cet aéroplane révolutionnaire, qui renvoie les biplans et les sesquiplans d'alors au rang d'antiquités, annonce une charge alaire de 100 kilos par mètre carré de voilure alors que la norme officielle plafonne à 50 kilos !
Jusqu'en 1937, date à laquelle volera son dernier prototype, l'Air Couzinet 10, René Couzinet ne déviera que rarement de ses postulats, ceux qui ont fait sa renommée et qu'ont repris à leurs comptes quelques avionneurs, tel l'Allemand Claude Dornier. C'est sans doute là l'une de ses principales erreurs. En étant un peu plus attentif aux conseils des techniciens de ses sociétés mais aussi de ceux des services officiels, Couzinet aurait sans doute pu apporter d'importantes améliorations à ses avions, améliorations qui lui auraient permis, éventuellement, de garder l'avance qu'il avait prise à la fin des années vingt.
Ancien pilote d'essai, Jacques Lecarme, qui a rédigé de nombreux rapports après avoir volé sur des avions Couzinet, en est intimement convaincu: "Indéniable animateur, [Couzinet] aurait dû avoir plus confiance dans son équipe et s'il avait, comme Marcel Bloch [le futur Marcel Dassault], écouté le Centre d'essais, il aurait pu conserver son avance avec des avions meilleurs car ils étaient capables d'être améliorés au prix d'un travail peu important". (L'histoire des essais en vol (1914-1940), Louis Bonte (avec les témoignages de Paul Badré, Pierre Humbert, Jacques Lecarme…), Docavia).
Au cours de sa carrière, René Couzinet ne construisit pas que des aéroplanes.
Dès 1928, il déposa un brevet dans lequel figure une description détaillée d'une machine alors peu usitée par ses contemporains: l'hydroglisseur. C'est toutefois au Brésil, au sortir de la Seconde guerre mondiale, qu'il lança son modèle le plus connu, le RC 125. Celui-ci ne trouva jamais preneur, pas plus que les suivants (à de très rares exceptions près), malgré l'intérêt relatif que pu porter un moment le gouvernement français à ce moyen de navigation. Pourquoi ? Les hydroglisseurs Couzinet coûtaient cher non seulement à la construction mais aussi à la maintenance. Quant aux tentatives du constructeur pour vendre le concept en Afrique ou en Amérique du sud, toutes échouèrent, les fleuves de ces contrées lointaines mal entretenus ne pouvant assurer une navigabilité en toute sécurité.
Autre sphère d'investigation de Couzinet: l'Aérodyne à ailes multiples ou RC 360, ce drôle d'engin qui a la forme d'une soucoupe volante. Revenu en France, privé de marché d'État pour d'éventuels avions de sa conception, le constructeur s'intéressa au problème du décollage vertical (c'était la mode dans les années cinquante) et fabriqua, dans ses ateliers de l'île de la Grande-Jatte, à Levallois-Perret, une maquette en bois au trois-cinquième de ce RC 360 présenté comme l'avenir de l'aviation. Mais la " soucoupe volante " de René Couzinet ne vola point, l'administration ayant estimé qu'elle n'avait pas à investir dans un projet pour le moins utopique.
L'hydroglisseur, l'Aérodyne à ailes multiples, deux "mirages" auxquels René Couzinet crut avec beaucoup de conviction. Ses désillusions furent d'autant plus grandes.
L'amitié sincère qui unit René Couzinet et Jean Mermoz a souvent été montrée du doigt comme étant une simple alliance de circonstances, professionnelle tout au plus.
C'est faux. Le constructeur et le pilote, qui se sont rencontrés pour la première fois en août 1932, ont rapidement sympathisé bien qu'il soit exact que le père de l'Arc-en-Ciel, à la recherche d'un aviateur pour traverser l'océan Atlantique sud, ne voulait pas, du moins au début, de l'Archange au motif que celui-ci, en raison de sa flatteuse réputation, ferait de l'ombre à son "enfant". Couzinet changea vite d'avis. Une vraie complicité était née.
En vérité, René Couzinet et Jean Mermoz comprirent vite que leur combat respectif se rejoignait sur de très nombreux points. Ils n'avaient qu'une idée en tête: améliorer la qualité des avions et, par conséquent, la sécurité des vols. Comment? En faisant admettre une fois pour toutes au ministère de l'Air et à ses services techniques que même au-dessus des mers et des océans l'avion terrestre, du fait de ses performances, était supérieur à l'hydravion, lequel avait les faveurs de l'administration pour les parcours maritimes. Ce ne sera pas le cas et Mermoz, en décembre 1936, disparaîtra à bord d'un hydravion Latécoère.
René Couzinet ne se remettra jamais vraiment de la disparition prématurée de son ami, qui était également son meilleur soutien au sein d'Air France. C'est aussi par fidélité qu'il épousera, en octobre 1939, sa veuve, Gilberte Chazottes. Un mariage pour le meilleur et, malheureusement, pour le pire.
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